INSTA : rodhainfabien

L'andouillette de Troyes

En fin de semaine dernière, la France a perdu son fameux Triple A.

-          C’était couru d’avance, Raymond… un vendredi 13 !

-          Mais avec quoi tu viens, tu sais bien que je ne suis pas superstitieux : ça porte malheur !

 

Puisque c’était un « trésor national », selon l'économiste Alain Minc (été 2011), c’est à présent une catastrophe nationale, commentée jusqu’au marché de Troyes que je traversai ce samedi matin, sur le chemin de la gare. Je m’émus devant la mine déconfite de la charcutière, connue pour attirer le chaland tant pour sa bonne humeur contagieuse, que pour ses produits.

-          Eh bien, mère Gilbert, que vous arrive-t-il ?

-          C’est cette dégradation, voyons… la perte d’un « A » pour toute la France… T’imagines ? C’est une catastrophe, pour nous !

-          Comment ça, mère Gilbert ? Vous empruntez de l’argent sur les marchés mondiaux, aux halles de Troyes ?

-          Mais non, voyons… qu’est-ce que tu racontes, mon pauvre Fabien, j’te parle pas d’argent !

-          Ah ?

-          Evidemment… c’est l’andouillette, qui m’inquiète !

-          « L’andouillette qui m’inquiète »… C’est le refrain d’une chanson locale, ou vous êtes sérieuse ?

-          Bien sûr, l’andouillette m’inquiète… quoi d’autre ? A Troyes, tu crois qu’on est connu pour quoi ? Les bulles bien sûr… mais qu’est-ce que tu veux, tout le monde croit que le meilleur Champagne, il vient d’Epernay ou de Reims ! Si c’est pas malheureux…

-          Et votre centre ville, mère Gilberte ! Il est vraiment superbe ce Bouchon[i], avec ses maisons médiévales, ses colombages…

-          Ca, j’te le fais pas dire ! Mais bon, personne ne le sait, que c’est si joli… sauf si tu décides d’en parler dans ton prochain roman, bien sûr, mon bichon… Non, honnêtement, notre seul patrimoine, c’est notre fameuse andouillette...

-          Expliquez-moi, mère Gilberte : je ne vois pas le rapport avec la perte du Triple A !

-          Mais c’est évident, mon pauvre garçon ! Comme tu es naïf… allez, je t’explique, y a pas foule ce matin, tout déprimés qu’ils sont, les Troyens… En France donc, on fait des andouillettes, qui sont notées en nombre de A. Du coup, il y a des andouillettes AAA, AAAA, AAAAA. Les meilleures, elles sont produites ici, à Troyes. C’est pour ça qu’elles sont AAAAA[ii], (on dit 5A pour aller plus vite). A Lyon, excuse-moi d’avance puisque tu viens de là-bas, elles sont franchement moins bonnes, reconnais-le s’il te plaît, alors elles sont généralement notées Triple A. T’es bien un artiste, tiens… aucun sens des affaires ! Alors, t’as rien dû comprendre à l’émotion qui a envahi le pays depuis hier ! Pourquoi tu crois qu’ils en ont parlé partout, aux infos et tout, de cette perte du Triple A ?

-          Parce que vous croyez vraiment, mère Gilberte, que l’émotion nationale vient de là, que le président craint même de ne pas être réélu… à cause de la perte d’un A dans la notation des andouillettes ?

-          C’est vrai que ça me dépasse, mais que veux-tu… y a rien de logique dans cette affaire ! La preuve : déjà, quand ils parlent de la perte du Triple A, ils focalisent sur l’andouillette de Lyon, qui était 3A et devient donc 2A ! Mais nous, qu’on en a toujours eu 5, on va passer à 4A ! Pourquoi on ne parle que de celle de Lyon ? Parce qu’on s’occupe que des grandes villes ! La preuve : j’ai même entendu cet été : « le triple A, c’est notre trésor national ». C’est l’autre, là, qui l’a dit… comment il s’appelle, déjà, celui-là, l’économiste que si tu le regardes juste cinq minutes, t’as envie de pleurer… heureusement qu’il passe que sur France trois, à onze heures du soir… Ah oui, je me rappelle : Allez Mince !

-          Alain Minc ?

-          Oui c’est ça, c’est pareil… n’empêche, idem que la presse : lui, il parlait que du triple A, et pas de notre 5A, à nous ! Le bon côté, c’est que du coup, cet été, j’ai appris qu’il y avait des agences de notation des andouillettes, en Amérique ! Alors là, excuse-moi l’expression, mais ça m’a carrément troué le cul !

-         

-          Quoi, fais pas ta mijaurée : c’est Eddy Mitchell qui dit ça, dans le bonheur est dans le pré… en tout cas, moi, je savais même pas qu’ils mangeaient des andouillettes, les ricains ! z’ont qu’à venir goûter celles de la mère Gilberte, avec un bon petit Chablis des familles, ils boufferont plus jamais dans leurs Mac Do, z’y mettront le feu et nous donneront même deux A de plus, je te l’dis, moi ! Capables d’inventer l’andouillette 6A, ceux-là, du moment qu’ils aiment ! Quoi, qu’est-ce que t’as à te marrer ? Tu te fous de moi ?

-          Non, mère Gilberte, enfin si, un peu, mais gentiment…

-          Et je peux savoir pourquoi, mon mignon ?

-          Vous êtes trop drôle ! Les agences de notation, elles n’ont pas enlevé un A aux andouillettes françaises, mais à la dette souveraine de la France !

-          Hein ? C’est quoi, ça, la dette souveraine de la France ?

-          Je vous explique rapidos. Le pays vit à crédit, ce qui veut dire qu’il emprunte chaque année de l’argent au monde entier, pour faire face à toutes ses dépenses. Or, qui dit emprunt dit taux d’intérêt, et pour fixer un taux d’intérêt, il faut mesurer le risque. Ce que font les fameuses agences de notation : jusqu’à présent le risque était proche de zéro pour la France, d’où la note maximum dite Triple A ; à présent, placer son argent en prêtant à l’état français devient plus risqué selon les agences, d’où cette dégradation… qui pourrait être suivie par d’autres, très bientôt. Donc les taux d’intérêt vont augmenter, ce qui aura logiquement des conséquences sur le budget national, sur nos propres taux d’intérêt personnels etc.

-          Alors là, tu m’en bouches un coin… et les autres pays européens ?

-          Pour la plupart, c’est encore pire ! Tenez : depuis hier, l’Italie est classée comme une république bananière ! Peut-être même pire…

-          Alors, ça va être dur pour eux ? Moi qui ai de la famille, dans le Piémont…

-          Vous l’avez dit ! Le pays ne marche pas si mal économiquement, mais les agences de notation disent « il va y avoir des problèmes ». Donc leurs taux d’intérêt vont augmenter, donc il y aura encore plus de problèmes, donc il y aura une nouvelle dégradation, donc les taux vont augmenter, donc il y aura plus de problèmes… et l’agence de notation dira : « nous avions raison, nous l’avions prédit ». Logique : c’est ce qu’on appelle une prédiction auto-réalisatrice : Je dis que quelque chose va arriver, je participe à ce que cela arrive, cela arrive, ce qui me fait constater que j’avais bien raison de l’avoir prédit !

-          Mais alors, pour ainsi dire, elles nous dirigent, ces agences de notation ? Pourtant, il y a six mois, personne ne savait qu’elles existaient, pas vrai ?

-          Si, je suis d’accord !

-          Eh be… on est pas dans la merde ! Surtout qu’ils comprennent rien, ceux qui nous dirigent ! C’est pourtant simple : je la connais, moi, la solution !

-          Vous avez la solution, vous, mère Gilberte ?

-          Evidemment : il suffit d’avoir un peu de bon sens terrien ! Finalement, ton histoire de dette souveraine, c’est comme pour une personne ou une famille, en plus grand ! Quand on ne peut plus emprunter, on arrête de faire des crédits, non ? Alors voilà. L’année prochaine, z’ont qu’à arrêter de dépenser plus que ce qu’ils ont : pas de grands chantiers, on rembourse ce qu’on doit et hop ! Tu verras que la note, dès l’année suivante, elle va remonter vite fait, bien fait ! 

-          Théoriquement vous avez raison mère Gilberte, sauf que si on n’emprunte pas, on ne peut pas rembourser nos dettes… 

-          Hein ? On fait des dettes pour payer la dette ? 

-          Oui : 80 % du budget national y est consacré. Dans les mois qui viennent, par exemple, la France doit lever des centaines de milliards de crédits supplémentaires !  

-          Mais c’est abominable ! Ca veut dire que… comment on va s’en sortir ? Et puis… comment on en est arrivés là ? ‘nous en ont jamais parlé, jusqu’ici, alors que c’est une vraie cata ! Tout ça pour quoi ? Qu’on s’endette nous aussi, pour qu’on consomme toujours plus, qu’on fasse de la croissance comme y disent, pour qu’on fasse tourner une machine infernale… non ?  

-          Si, je le crois aussi, mère Gilberte.

-          Merci, mon roudoudou. Grâce à toi, j’ai tout compris : c’est pas aux andouillettes qu’on a enlevé le Triple A… c’est aux andouilles !

 

Meilleurs vœux à tous, pour cette année - j’en ai la conviction - de tous les possibles, « négatifs » comme « positifs ».

Personnellement, j’entre dans cette période avec beaucoup d’enthousiasme et d’engagement. D’une certaine dose de peur, aussi – comment pourrait-il en être autrement ? Mais n’est-il pas formidable de s’engager à réenchanter le monde et la vie…


Nous sommes de plus en plus nombreux sur cette voie, et je m’en réjouis. De vous, qui me suivez, qui me faites la joie de venir m’écouter dans des conférences (toujours plus remplies) aux personnalités en vue[iii] qui prônent un monde différent, il me semble que monte une nouvelle énergie globale, dans une forme relativement cohérente, qui participe d’un saut de conscience indispensable pour le monde.


Si vous aussi, vous en avez marre d’être pris pour une andouille, mon dernier livre est pour vous : Petit manifeste du rebelle engagé - de l’indignation positive.

… et si vous avez aimé ce billet, partagez-le autour de vous !

Plein de vie à vous tous,

Fabien R.

 

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DES NEWS ?


Prochaine rencontre :

A la librairie Decitre de Chambéry, le 28 janvier : échange à 15h – dédicace à 16h.

 

Du côté des médias :

De nouveaux articles dans le Dauphiné Libéré et l’est-éclair.

La vie du bon côté, une émission radio en direct avec les auditeurs (décembre 2011)

 

To green or not to green (théâtre) :

Un tabac pour ses deux premières représentations… il est vrai que la pièce a été magistralement prise en main par une metteur en scène et des acteurs professionnels, dont je vous reparlerai dans ma prochaine lettre ! Elle sera encore jouée ce 19 janvier à Grenoble, et à la fin du mois à Monaco (dans un cercle privé).

A suivre dès le mois prochain, des images de la pièce ainsi que son texte intégral, publié !

Si vous souhaitez la faire jouer (dans un théâtre, dans votre entreprise, ou encore par votre troupe amateur), contactez-moi ! 

 



[i] Nom donné au centre ancien de Troyes, en forme de bouchon de Champagne. Peut-être un rien aidé par les dessinateurs des plans, mais en tout cas le vieux Troyes vaut le détour.

[ii] Authentique

[iii] Je pense en particulier à une nouvelle famille de chanteurs qui s’engagent et - cerise sur le gâteau -  sont écoutés, comme Thomas Dutronc, Zaz, Christophe Maé ou bien sûr la personnalité préférée des Français, notre Yannick Noah national. Bien sûr, Alain Souchon s’était déjà lâché sur le sujet il y a vingt ans, avec son incroyable « Foule sentimentale »… j’y reviendrai très prochainement.

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Lettre 2012 01 - L'Andouillette de Troye
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Commentaires: 5
  • #1

    Christian (jeudi, 19 janvier 2012 19:28)

    Merci Fabien pour ce bel échange avec la "Mère Gilberte", que tu nous rapportes avec truculence. La conclusion de la brave femme résume la situation: ce sont les "andouilles" qui nous gouvernent depuis 30 ans qui ont perdu le triple A!
    Il serait temps que les électeurs "débarquent" ces énarques (pour la plupart) incompétents (ils le prouvent chaque année à l'heure des bilans) et obnubilés par la seule sauvegarde de leur pouvoir et de leurs privilèges... Par moments, on rêverait presque d'une révolution...
    Mais il faudrait aussi une conversion des mentalités: que l'Etat garantisse la liberté et la justice sociale dans notre pays mais qu'on arrête aussi de s'accrocher à nos petits privilèges corporatistes ou à trop attendre d'un Etat providence, que l'Etat facilite l'activité industrielle et commerciale pour tous

  • #2

    Thomas (jeudi, 19 janvier 2012 19:35)

    Excellent Fabien :) Vraiment bon !! J'ai bien rigolé. Au fond, la première interprétation fait autant rire que la deuxième...

  • #3

    Christian (jeudi, 19 janvier 2012 19:50)

    (suite du commentaire posté par erreur avant sa fin): mais que les Français, les Européens, les Occidentaux se remettent au travail et abandonnent cette habitude d'une société du loisir pendant que les pays émergents "turbinent" comme des fourmis disciplinées.
    Et surtout que l'on revienne à une société centrée sur l'humain (plus respectueux de lui-même et de ses contemporains sur la planète, plus soucieux du sens qu'il veut donner à son passage sur la Terre, plus attentif au monde qu'il veut léguer à ses enfants...)en refusant de se laisser robotiser. Que l'on cesse individuellement cette course folle à la surconsommation (pour ceux qui le peuvent encore!) et à l'endettement. Que l'on retrouve la valeur de la fraternité humaine, en partageant à l'échelle de la planète nos richesses et notre savoir-faire. Sortir d'un individualisme frileux pour un collectif généreux. Garder les pieds sur terre mais ouvrir son coeur et oser bâtir un monde sur de meilleures valeurs.
    Il y aurait tellement à dire...
    Que chaque colibri "fasse sa part" et nous changerons la vie.
    En toute fraternité,
    Christian

  • #4

    Maxime ✩ Gerbe (dimanche, 22 janvier 2012 23:10)

    Hélas, la triste vérité, c'est belle et bien celle-ci...

  • #5

    Sabrina (dimanche, 27 janvier 2013 18:35)

    Remarquable Fabien! Merci pour ce partage, qui ne fait que confirmer ce que je pense depuis toujours!

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