« Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, c’est le bonheur qui est le chemin »
Le Bouddha
Depuis quelque temps, fleurissent les revues traitant de la question du bonheur. Il ne se trouve probablement pas un hebdomadaire qui n’en ait fait sa une, quand bien même le sujet soit aux antipodes de sa ligne éditoriale. Les magazines scientifiques n’y font pas exception, le dernier en date étant « science et avenir », qui arbore en couverture de son numéro de juin : « ce que la science nous apprend du bonheur ».
C’est incontestable, le sujet est « tendance ». Appel au secours dans une ambiance globale de stress sur fond de crise ? Véritable aspiration sociétale au « mieux » plutôt qu’au « plus » ? L’avenir le dira.
Pour l’heure, je vous propose de musarder avec une interrogation récurrente, une interpellation de penseur « à la française ».
Dans le magazine précité, en dehors des réponses à des questions scientifiques (le rôle des gènes, celui du cerveau gauche etc…), sont présentés différents articles. L’un d’eux s’intitule « comment cultiver sa joie de vivre » et je vous y renvoie, si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez compléter ma lettre de juin 2009 : « la psychologie positive » (*)
La réflexion que j’évoque est celle de Vincent CESPEDES, philosophe, qui titre son article « non au business-plan existentiel », dans la lignée de son livre qui semble fustiger la psychologie positive.
Ce penseur affirme :
« la psychologie positive promeut une psychologie mécaniste : si je suis certaines prescriptions, une « diététique du bonheur » en quelque sorte, alors je vais être heureux. Or, si vous vous posez la question « comment faire pour être plus heureux », c’est que vous ne l’êtes pas et ce n’est pas en appliquant des règles de vie, que vous allez le devenir. Le cerveau n’est pas une machine qui produit du bonheur sur commande ».
Puis en conclusion : « Le bonheur surgit lorsqu’on rencontre une « onde de charme », un élan communicatif, une euphorie collective… »
Cette position entretient selon moi un malentendu, symptomatique de la pensée occidentale lorsqu’elle reste coincée dans la rationalité cartésienne, dans le modèle « causes à conséquences ».
D’un côté, notre penseur fustige la Psychologie Positive pour ce que celle-ci propose des tâches censées nous approcher d’un mieux-être, en nous (ré ?) apprenant à « voir le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide » : ce qu’il nomme une « psychologie mécaniste ».
Sans doute trouve-t-il idiot, inutile, bêtement « mécanique » de noter au quotidien les instants agréables pour apprendre à les apprécier, ou d’éviter les forts anxiogènes comme les informations télévisées à outrance ou les personnes dans la plainte permanente, dans le but de se préserver ou de se reconstruire (**).
La Psychologie Positive donne de vrais résultats (*), mais je comprends que sur un plan théorique, notre penseur raisonne de cette manière et se montre critique envers ce qu’il imagine être « une psychologie mécaniste ». Surtout s’il est français et pratique cette méfiance culturelle à l’égard de ce qui paraît simple et insuffisamment intellectuel.
Mais alors, comment peut-il affirmer lui-même que « le bonheur surgit lorsqu’on rencontre une onde de charme, un élan communicatif, une euphorie collective » ? Outre le fait qu’il semble tenir le bonheur pour un instant fugace plutôt que durable, sans la moindre influence de notre part (sa définition évoque pour moi le soir du 12 juillet 1998 en France, après la victoire en coupe du monde : était-ce là le bonheur ?), ne tiendrait-il pas lui aussi un raisonnement « mécaniste », pour reprendre ses propres termes ? On rencontre « une onde de charme, un élan communicatif, une euphorie collective » et clic-clac Kodak, nous voici heureux ?
Entre le fait de penser que certaines actions vont apporter le bonheur et celui de considérer que rien ne peut y faire, que le bonheur appartient au pur hasard, il existe une troisième voie : celle de la philosophie chinoise, bien plus complexe et riche en la matière, me semble-t-il.
Le raisonnement occidental conduit à considérer qu’une cause implique une conséquence, une action un résultat, et nous avons coutume de disserter sur le fait que nous trouvons que l’action est la bonne, ou non.
Les Chinois approchent les situations de manière systémique. Il n’y a guère que dans le cas de l’agriculture, que nous comprenons la dimension systémique : pour obtenir de beaux et bons fruits, il faut traiter un ensemble de facteurs qui associés, vont permettre le résultat : le soin de l’arbre, l’enrichissement de la terre sur un large périmètre, un bon arrosage, du soleil, un environnement propice à la pollinisation… Certaines actions étant en notre maîtrise, d’autres non.
Si nous avons fait de notre mieux, le résultat sera peut-être atteint, mais ce n’est pas certain. Si tel n’est pas le cas, la persévérance paiera un jour ou l’autre.
Mais qui aurait l’idée de tirer sur une plante pour la faire pousser plus vite ? C’est pourtant ce que nous faisons dans bien des domaines.
Laissez-moi vous conter cette histoire de l’archer japonais :
Un vieux maître japonais est sur le point de viser une cible à bonne distance, le soir déclinant. Un reporter occidental assiste à la démonstration.
Le vieux maître fixe l’objectif, fait le vide en lui, bande son arc et lâche la corde, tout en fermant les yeux. La flèche décrit une courbe parfaite et vient se ficher au centre de la cible, que l’archer ne regarde toujours pas. Eberlué, le journaliste s’exclame : « vous avez vu où est votre flèche ? ». Le maître lui pose la main sur l’épaule et lui répond : « non, mais ce n’est pas le plus important, mon ami ».
L’archer va tirer une seconde flèche sur la cible éclairée par une bougie, car la nuit est maintenant tombée. Le vieux maître fixe l’objectif, fait le vide en lui, bande son arc et lâche la corde, tout en fermant les yeux. Pendant que la flèche décrit une courbe parfaite et sans le moindre regard pour elle, le vieux maître part se coucher.
Le lendemain, le reporter le cherche partout et, heureux de le trouver enfin, lui demande :
- Avez-vous vu le résultat de votre dernière flèche ?
- Non.
- Elle est venue elle aussi se placer au centre de la cible, à quelques millimètres de la première !
Le vieux maître place sa main sur l’épaule du journaliste, et lui dit :
- Oui, mais ce n’est pas le plus important.
- Ah ? Et qu’est-ce qui est le plus important ?
- Voyez-vous mon ami, nos cultures sont fort différentes. Vous autres Occidentaux, êtes obnubilés par l’objectif. Vous y pensez tant, courez tellement après lui, qu’il peut vous paralyser. Nous n’avons pas le même rapport à l’objectif. Pour nous, plus que le but, ce qui importe, c’est de faire basculer la situation du bon côté. La finalité, c’est d’être en phase. En phase avec moi-même : la force nécessaire, la visée bien sûr, mais aussi la paix intérieure. En phase avec les éléments extérieurs comme le vent, le taux d’humidité et bien d’autres encore. Si je suis en phase, le résultat devient secondaire. Pour nous, atteindre le résultat implique de s’en détacher. Ce qui doit être sera. Nos cultures sont différentes, mon ami. Différentes et complémentaires.
« Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, c’est le bonheur qui est le chemin ».
Comme l’explique notre vieux maître, l’important n’est pas de viser l’atteinte du bonheur mais de se placer sur son chemin… Et de le vivre… Sans le chercher.
Voici le chemin.
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(*) Lettre positive de juin 2009 : http://www.fabienrodhain.com/2009/06/25/la-psychologie-positive/
(**) Nouvelle en téléchargement libre : http://www.fabienrodhain.com/nouvelles/
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Corinne Cosseron (samedi, 05 juin 2010 11:48)
Merci Fabien pour cet article plein de bon sens!
Certains arriveraient à nous faire culpabiliser de chercher des moyens d'être plus heureux et de vouloir les partager!
Je suis preneuse de tout ce qui nous aide efficacement à mieux vivre, ici et maintenant, et la psychologie positive fait ses preuves (scientifiques) en ce moment même.
Que ceux qui hésitent soient pascaliens et essayent "juste au cas où" ... Et ils en seront très heureux, je n'en doute pas!
Valérie L'Heureux-Levecq (mardi, 08 juin 2010 08:58)
Merci Fabien pour cette histoire Japonaise, quelle leçon!
Les occidentaux sont "orientés résultats " et cela donne parfois des changements positifs dans leurs vies bien remplies, et aussi un mieux-être personnel.
Mais quand on expérimente la lenteur et qu'on savoure-ne fusse qu'une croûte de pain frais-on atteint une sensation de plénitude, on entre dans l'instant.
A chacun de trouver sa manière d'expérimenter: organisée, prescrite, fantaisiste, relationnelle, etc.
De toute manière, cela diffuse tout autour de nous.
Comme les lettres positives qui ensoleillent ma boîte rien qu'avec leurs titres!
Thomas (mercredi, 23 juin 2010 08:20)
Merci pour cette lettre ;)
Béatrice GM (vendredi, 03 septembre 2010 22:08)
Merci pour ce texte instructif !
Je me demandais si ce monsieur Cespedes ne confond pas joie et bonheur ("..il semble tenir le bonheur pour un instant fugace..").